Le « Printemps arabe » et l’Occident : sept leçons de l’histoire




Le « Printemps arabe » et l’Occident : sept leçons de l’histoire


Seumas Milne

Ce n’est pas sans une vraie raison que, plus que dans toute autre partie de l’ancien monde colonisé, le Moyen-Orient n’a jamais été complètement décolonisé. Recouvrant la plus grande partie des réserves de pétrole mondiales, le monde arabe a été la cible d’ingérences et d’interventions continuelles depuis qu’il est devenu officiellement indépendant.

Découpé en États artificiels après la Première Guerre mondiale, il a été bombardé et occupé - par les USA, Israël, la Grande-Bretagne et la France - et verrouillé par des bases US et des tyrannies soutenues par l’Occident. Comme la blogueuse palestinienne Lina Al-Sharif l’exprimait sur Twitter le Jour de l’armistice cette année, « ici, la Première Guerre mondiale n’a jamais pris fin parce que nous, au Moyen-Orient, nous en vivons toujours les conséquences ».

Les insurrections arabes qui ont éclaté en Tunisie il y a un an ont porté sur la corruption, la pauvreté et le manque de liberté, plutôt que sur la domination occidentale ou l’occupation israélienne. Mais du fait qu’elles aient été lancées contre des dictatures soutenues par l’Occident, elles constituent une menace immédiate pour l’ordre stratégique.

Depuis la chute d’Hosni Moubarak en Égypte, les puissances occidentales, avec leurs alliés du Golfe, ne cessent de contre-attaquer, pour acheter, écraser ou détourner les révolutions arabes. Et elles ont acquis une très grande expérience pour ce faire : chaque foyer d’insurrection arabe, de l’Égypte au Yémen, a vécu pendant des décennies sous la domination impérialiste. Tous les principaux États de l’OTAN qui ont bombardé la Libye par exemple (les USA, la Grande-Bretagne, la France et l’Italie) ont eu, de mémoire d’homme, des troupes qui ont occupé le pays.

Si les révolutions arabes prennent en main leur avenir, alors, il leur faudra garder un œil sur leur passé récent. Voici sept leçons de l’histoire du Moyen-Orient entremêlée avec celle de l’Occident, avec la gracieuse permission de Pathé News pour utiliser leurs archives, et la voix de l’ère coloniale de la perfide Albion.

1 - L’Occident n’a jamais renoncé à contrôler le Moyen-Orient, quels que soient ses revers

Revenons à cette dernière fois où les États arabes ont commencé à se sortir de l’orbite occidentale, dans les années mille-neuf-cent-cinquante, sous l’influence du panarabisme de Nasser. En juillet 1958, des officiers radicaux de l’armée nationaliste iraquienne ont renversé un régime corrompu et répressif, soutenu par l’Occident (ça vous rappelle quelque chose ?), cantonné dans les garnisons des forces britanniques.

L’éviction de la monarchie docile iraquienne a semé la panique chez Pathé. L’Iraq, richesse pétrolière, était devenu le « site à risque numéro un », alertait Pathé dans sa première de ses dépêches sur l’évènement. Malgré le « patriotisme » du roi Faycal, « ancien élève d’Harrow » - et dont « personne ne peut douter » nous assure la voix off - les évènements se sont précipités, « pour le malheur de la politique occidentale ».

Mais dans les quelques jours qui ont suivi - comparés avec les deux mois qu’il a fallu pour intervenir en Libye cette année -, la Grande-Bretagne et les USA ont envoyé des milliers de soldats en Jordanie et au Liban pour empêcher que deux autres régimes alliés d’être contaminés par la révolte nassérienne. Ou, comme le dit Pathé News dans son article suivant, pour « arrêter la gangrène ».

Ils n’avaient aucune intention de laisser l’Iraq révolutionnaire laissé à lui-même. Moins de cinq ans plus tard, en février 1963, les renseignements états-uniens et britanniques soutenaient le coup d’État sanglant qui porta les baasistes de Saddam Hussein au pouvoir.

Revenons directement à 2003, quand les USA et la Grande-Bretagne envahirent et occupèrent le pays tout entier. L’Iraq revenait finalement sous le total contrôle occidental - au prix de massacres sauvages et de destructions. C’est la force de la résistance iraquienne qui, au bout du compte, a conduit au retrait américain de cette semaine - mais même après ce retrait, 16 000 agents de sécurité, formateurs et autres vont rester sous le commandement US. En Iraq, comme dans le reste de la région, ils ne partent jamais, à moins d’y être contraints.

2 - On peut compter sur les puissances impérialistes pour se leurrer toutes seules sur la pensée réelle des Arabes

Le présentateur de Pathé News - et les occupants colonialistes de l’époque - ont-ils cru vraiment à la sincérité « des milliers d’Arabes » figés qui acclamaient le dictateur fasciste Mussolini sur son parcours dans les rues de Tripoli, dans la colonie italienne de Libye en 1937 ? Vous ne devinez donc rien à voir leurs visages apeurés ?

Rien dans ce film d’actualité ne laisse soupçonner qu’un tiers de la population de Libye est mort sous la brutalité du joug colonial italien, ni l’existence du mouvement de résistance héroïque libyen dirigé par Omar Mukhtar, pendu dans un camp de concentration italien. Mais le « masque de l’impérialisme » porté par Mussolini comme le décrit la voix off est le même que celui des politiciens britanniques de l’époque

Et la dépêche de Pathé sur la visite de la Reine dans la colonie britannique d’Aden (aujourd’hui intégrée au Yémen), quelques années plus tard, est étrangement semblable, avec « des milliers de loyaux sujets l’acclamant », supposés accueillir « leur propre Souveraine » que l’on décrit allégrement comme un « exemple remarquable du développement colonial ».

Si remarquable en réalité qu’à peine dix ans plus tard, les mouvements de libération du Sud Yémen contraignaient les troupes britanniques à évacuer le dernier bastion de l’Empire, mais après avoir frappé, torturé et assassiné sur leur chemin tout en traversant le district Crater d’Aden : un ex-membre de l’escouade britannique a expliqué dans un documentaire sur la BBD en 2004, qu’il ne pouvait pas donner plus de détails, de crainte d’être poursuivi pour crimes de guerre.

Mais il est beaucoup plus facile de voir les choses à travers la propagande d’époques et de régions autres que les nôtres - surtout quand cette propagande a le caractère grotesque de celle dans les années cinquante d’un Harry Enfield ou d’un Cholmondley Warner .

Il est bien connu que les néocons s’attendaient à ce que ce ne soit qu’une promenade en Iraq et la couverture états-unienne et britannique de l’invasion a toujours montré les Iraquiens jetant des fleurs aux troupes d’invasion, alors que la résistance armée était en pleine mobilisation. Et les reportages télévisés britannique montrant les troupes britanniques « protégeant la population locale » contre les Taliban en Afghanistan peuvent de façon frappante rappeler les actualités des années cinquante à Aden et Suez.

Même durant les insurrections de cette année, en Égypte et en Libye, les médias occidentaux n’ont souvent vu que ce qu’ils voulaient voir dans la foule place Tahrir ou à Benghazi ; surpris seulement, disaient-ils, de voir les islamistes contrôler la situation ou gagner les élections. Quoiqu’il puisse arriver ensuite, il est probable qu’ils ne l’obtiendront pas.

3 - Les grandes puissances sont parfaitement rodées pour magnifier les régimes alliés afin de préserver leur flot de pétrole

Quand il s’agit des autocraties réactionnaires du Golfe, pour être juste, on ne les considère pas comme vraiment gênantes. Mais avant que la vague d’anti-impérialisme des années cinquante ne touche un bon nombre d’entre elles, Britanniques, Français et Américains ont travaillé dur pour déguiser ces régimes de larbins de l’époque en démocraties constitutionnelles pleines d’avenir.

Parfois, ces efforts se sont avérés vains, et ce reportage houleux sur la « première tentative importante de démocratie » en Libye sous le règne du roi fantoche Idris ne fait rien pour le cacher.

La fraude éhontée des élections de 1952 au détriment de l’opposition islamique a déclenché des émeutes et tous les partis politiques ont été interdits. Puis Idris a été renversé par Kadhafi qui a nationalisé le pétrole et fermé la base américaine de Wheelus - sauf qu’aujourd’hui le drapeau du roi flotte à nouveau à Tripoli grâce à l’OTAN, tandis que les compagnies pétrolières occidentales attendent d’engranger leurs profits.

Les élections ont été truquées et des milliers de prisonniers politiques torturés dans les années cinquante en Iraq. Mais à en croire les officiels britanniques - incrustés en tant que « conseillers » à Bagdad et présents dans leur base militaire de Habbaniya - et les actualités présentées dans les cinémas britanniques à l’époque, l’Iraq de Faycal était une démocratie bienveillante et dynamique.

Sous le regard vigilant des ambassadeurs états-unien et britannique, et de « Mr Gibson » de la British Iraq Petroleum Company, nous voyons le Premier ministre iraquien, Nuri Said, inaugurant le champ pétrolier de Zubair, près de Basra, en 1952, pour, disait-il, ouvrir « des écoles et des hôpitaux » grâce au « travail commun de l’Orient et de l’Occident ».

En réalité, ce ne sera possible que lorsque le pétrole aura été nationalisé, et six ans plus tard, Said était assassiné dans les rues de Bagdad alors qu’il tentait de s’échapper sous un déguisement de femme. Un demi-siècle plus tard, les Britanniques reprenaient le contrôle de Basra, alors qu’aujourd’hui les Iraquiens se battent pour empêcher une nouvelle saisie de leur pétrole dans un pays dévasté que les politiciens britanniques s’entêtent à qualifier de démocratie.

Pour tout « printemps arabe », abandonner l’autodétermination pour adopter l’Occident peut évidemment conduire à une telle évolution, et les régimes dévoués qui ne sont jamais sortis de l’orbite de l’Occident, comme l’État policier corrompu de Jordanie, ont toujours été salués comme des îlots de bonne gouvernance et de « modération ».

4 - Les peuples du Moyen-Orient n’oublient pas leur histoire, même si c’est le cas des USA et de l’Europe

Le fossé pourrait difficilement être plus large. Quand l’ancien ministre de l’Information de Nasser et journaliste chevronné, Mohamed Heikal, a prévenu récemment que les insurrections arabes allaient être utilisées pour imposer un nouvel « accord Sykes-Picot » - le dépeçage et le partage, pendant de la Première Guerre mondiale, de l’Orient arabe entre les Britanniques et la France -, les Arabes et d’autres au Moyen-Orient savaient exactement ce qu’il voulait dire.

Sykes-Picot a façonné la région tout entière et ses relations avec l’Occident. Mais pour la plupart des non-initiés de Grande-Bretagne et de France, Sykes-Picot aurait tout aussi bien pu, à l’époque, être une obscure marque de râpe à fromage électrique.

Il en va de même pendant plus d’un siècle d’ingérence anglo-améracine, d’occupation et de subversion antidémocratique contre l’Iran. La presse britannique a exprimé sa perplexité devant l’hostilité iranienne aux Britanniques quand leur ambassade à Téhéran a été saccagée par des manifestants le mois dernier. Mais quand vous connaissez le dossier historique, qu’y a-t-il de si surprenant ?


Le cynisme orwellien du rôle de la Grande-Bretagne est très bien saisi dans le reportage de Pathé sur le renversement en 1953 du dirigeant iranien démocratiquement élu, Mohammed Mossadegh, après qu’il ait nationalisé le pétrole iranien.

Les manifestants pro-Mossadegh y sont présentés comme des gens violents, destructeurs, alors que le coup d’État fomenté par la CIA et le MI6 qui l’a évincé est accueilli comme « un coup de théâtre » populaire. Les actualités accusent Mossadegh, qui avait été élu, de « quasi-dictateur » ; à son procès pour trahison qui s’en est suivi, celui-ci exprimera l’espoir que son propre sort serve d’exemple pour « briser les chaînes de la servitude coloniale ». Quant au véritable dictateur, le Shah, soutenu par l’Occident, et dont l’autocratie violente a pavé le chemin de la Révolution iranienne et de la République islamique 26 ans plus tard, il est salué comme le souverain du peuple.


Aussi, quand les politiciens occidentaux s’insurgent contre l’autoritarisme iranien ou se revendiquent comme les champions des droits démocratiques, tout en continuant de collaborer avec une kyrielle de dictatures dans le Golfe, il n’y en a pas beaucoup au Moyen-Orient qui les prennent au sérieux.

5 - L’Occident a toujours présenté les Arabes qui persistent à vouloir prendre leurs affaires en main comme des fanatiques

Le soulèvement révolutionnaire qui a débuté en décembre dernier à Sidi Bouzid est loin d’être le premier contre le règne oppressif en Tunisie. Dans les années cinquante, le mouvement contre le joug colonial français a naturellement été dénoncé par les gouvernements colonialistes et leurs partisans comme « extrémiste » et « terroriste ».

Pathé News n’a certainement pas soutenu leur campagne pour l’indépendance. En 1952, Pathé a condamné une attaque contre un bureau de police comme étant une « explosion de l’agitation nationaliste » à travers l’Afrique du Nord. Et alors que la police coloniale disait procéder à « une recherche vigoureuse des terroristes » - même si les hommes déconcertés qui étaient extirpés de leurs maisons au bout du fusil ressemblaient plus aux « suspects habituels » du capitaine Renault à Casablanca -, le présentateur de Pathé se plaignait que, « une fois de plus, les fanatiques avaient bougé et fait empirer les choses ».

Il voulait parler des nationalistes tunisiens, évidemment, et non du régime de l’occupation française. Le nationalisme arabe a depuis été éclipsé par la montée des mouvements islamistes qui, à leur tour, ont été rejetés comme « fanatiques », tant par l’Occident que par certains anciens nationalistes. Alors que les élections font monter les partis islamistes au pouvoir, l’un après l’autre, dans le monde arabe, les USA et leurs allies tentent de les apprivoiser, sur le terrain de la politique étrangère et économique, pas sur les interprétations de la charia. Ceux qui succomberont seront des « modérés », les autres resteront des « fanatiques ».

6 - Une intervention militaire étrangère au Moyen-Orient apporte la mort, la destruction et divise pour mieux régner

Est-il nécessaire de se plonger dans les archives pour analyser cela. L’expérience de la dernière décennie est suffisamment explicite. Qu’il s’agisse d’une invasion à grande échelle et d’une occupation, comme en Iraq où des centaines de milliers de personnes ont été tuées, ou qu’il s’agisse de bombardements aériens pour changer le régime en brandissant le drapeau de la « protection des civils », comme en Libye où des dizaines de milliers de personnes ont été tuées, le coût humain et social est toujours catastrophique.

Et ceci a été vrai tout au long de l’histoire maléfique de l’implication occidentale au Moyen-Orient. Dans le film muet de Pathé sur la dévastation de Damas par les forces coloniales françaises lors de la révolte syrienne de 1925, ce pourrait tout aussi bien être Falluja en 2004 ou Syrte cet automne, si vous enlevez les fez et les casques coloniaux.

Trente ans plus tard et pour Port-Saïd, ce fut la même chose lors de l’invasion anglo-française de l’Égypte en 1956, date à laquelle les USA ont supplanté les anciens États coloniaux européens en tant que puissance dominante dans la région.

Ce reportage sur les troupes britanniques attaquant Suez, troupes d’invasion occupant et détruisant encore et toujours une ville arabe, pourrait tout aussi bien montrer Basra ou Beyrouth ; c’est devenu une spécificité tellement routinière du monde d’aujourd’hui, et en lien constant avec l’ère coloniale.

Ainsi en va-t-il de la tactique impériale classique qui utilise les diversités ethniques et religieuses pour renforcer l’occupation étrangère : que ce soit les Américains en Iraq, les Français dans la Syrie ou le Liban colonisés, ou les Britanniques quasiment partout où ils vont. Les archives Pathé sont pleines de films d’actualités où l’on voit les troupes britanniques que l’on prétend acclamées comme « gardiennes de la paix », au milieu de populations hostiles, de Chypre à la Palestine, pour mieux en garder le contrôle.

Et maintenant, le sectarisme religieux et les divisions ethniques, exacerbés sous l’occupation US-britannique de l’Iraq, sont mobilisés par les alliés de l’Occident dans le Golf pour contrer ou détourner les défis du réveil arabe : avec l’écrasement du soulèvement au Bahreïn, l’isolement des troubles chiites en Arabie saoudite et le conflit de plus en plus sectaire en Syrie - où une intervention étrangère ne ferait que plus de morts et enlèverait aux Syriens le contrôle de leur propre pays.

7 - La couverture par l’Occident de la colonisation de la Palestine bloque en permanence toute relation normale avec le monde arabe

Israël n’aurait pu être créé sans le joug impérial de trente ans de la Grande-Bretagne sur la Palestine et sans son parrainage de la colonisation juive européenne à grande échelle sous couvert de la déclaration Balfour en 1917. Manifestement, une Palestine indépendante, avec une écrasante majorité arabe palestinienne, ne l’aurait jamais accepté.

Cette réalité est prouvée dans ce film de Pathé News à l’époque de la révolte arabe contre le mandat britannique à la fin des années trente, montrant des soldats britanniques capturant des « terroristes » palestiniens à Naplouse et Tulkarem, en Cisjordanie occupée, tout comme le fait leur successeur israélien aujourd’hui.

Ces troupes sont là pour assurer la sécurité des colons juifs, déclare le présentateur dans le film, avec le ton essoufflé des voix off des années trente -, «  des troupes britanniques, toujours vigilantes, toujours protectrices ». Cette relation va s’effondrer quand la Grande-Bretagne va limiter l’immigration juive vers la Palestine, à la veille de la Deuxième Guerre mondiale.

Le réflexe colonial des Britanniques, en Palestine ou ailleurs, est toujours de se présenter comme les « gardiens de la loi et de l’ordre » contre les « menaces de rébellion » et comme les « maîtres de la situation », comme dans ces actualités délirantes de 1938 filmées à Jérusalem.

Mais le lien crucial d’origine entre la puissance impériale occidentale et le projet sioniste est devenu une alliance stratégique permanente après l’implantation d’Israël, tout au long des expulsions et dépossessions des Palestiniens, des multiples guerres, des 44 années d’occupation militaire et de la colonisation illégale toujours en cours de la Cisjordanie et de la bande de Gaza.

Le caractère inconditionnel de cette alliance, qui reste le pivot de la politique US au Moyen-Orient, est l’une des raisons qui font que les gouvernements arabes démocratiquement élus constatent probablement qu’il est plus difficile pour eux de jouer les dupes du pouvoir américain que ce ne le fut pour les monarchies dictatoriales de Moubarak et du Golfe. Comme la Grande-Bretagne avant eux, les USA pourraient bien avoir quelque difficulté à rester les « maîtres de la situation » au Moyen-Orient. 


Au Liban, le double exil des Palestiniens



Au Liban, le double exil des Palestiniens


Par Marina Da Silva

A la suite des affrontements provoqués en 2007 par des islamistes infiltrés, le camp palestinien de Nahr Al-Bared, au Liban, a été détruit. Depuis, les habitants tentent de revenir. Mais la reconstruction réveille bien des craintes : chez les Palestiniens, la peur d’un contrôle et d’une répression accrus, et pour les autorités, celle de l’installation définitive des réfugiés.

« La situation à Nahr Al-Bared est un désastre. » Combien de fois avons-nous entendu ce constat sans appel ? Il nous a fallu huit jours pour obtenir l’autorisation d’entrer — et encore : sous escorte militaire — dans ce camp palestinien, à seize kilomètres au nord de Tripoli, où le groupe Fatah Al-Islam et l’armée libanaise s’étaient opposés du 20 mai au 2 septembre 2007 (1). A l’issue des combats, le saccage s’est poursuivi. Le vieux camp a été détruit à 95 %, et les alentours dévastés. Parqués dans une zone d’attente effroyable, close à tous les regards, les deux tiers de ses trente mille réfugiés y sont revenus.

Nahr Al-Bared était le second camp palestinien du Liban en nombre d’habitants. C’était aussi l’un des plus paisibles et des moins enclavés. Edifié en 1949 sur une surface d’à peine 0,2 kilomètre carré, d’abord avec des tentes, ensuite avec des constructions en dur enchevêtrées, il est bordé au nord-ouest par la mer, « celle des pauvres », comme l’appelaient ses habitants parce qu’elle ramenait avec elle toute la pollution de la ville industrielle. Sa population ne cessant d’augmenter, le camp a mordu sur deux communes voisines, Bhanine et Muhmarra, sur une surface trois à quatre fois plus vaste mais moins peuplée, communément appelée « le nouveau camp ».

« C’était un véritable pôle d’activité, le seul camp où l’on trouvait nombre de bijouteries, raconte Hodda, qui venait régulièrement y travailler avec l’association de femmes Najdeh. Les Libanais aussi venaient y faire leurs courses, acheter parfois des marchandises de contrebande en provenance de Syrie. » C’est désormais du passé. Les habitants se sentent trahis : « Ils ont évacué le camp à la demande de l’armée et des organisations palestiniennes, mais, pour eux, la reddition de quelque quatre cents djihadistes ne peut justifier la destruction à une telle échelle. »

La première vague de réfugiés à revenir, en octobre 2007, a subi un choc terrible : « Le camp a été rasé au bulldozer. Nos maisons ont été saccagées, pillées, nos lieux de culte profanés. Nous avions tout laissé. Je n’ai même plus une seule photo. On a tout perdu ! Même notre mémoire », se lamente Abou Ghassan, rencontré au camp de Chatila, à Beyrouth, où se sont installées deux cents familles. Mais une grande partie des habitants, près de huit mille personnes, s’est retrouvée à Badaoui, un autre camp palestinien qui jouxte Tripoli et qui a vu sa population doubler en 2007.

Il a fallu plus d’une année pour résoudre, grâce à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient (UNRWA) et à l’ensemble des organisations palestiniennes du camp, les problèmes posés par l’accueil de ces réfugiés. Deux écoles supplémentaires en préfabriqué ont été ouvertes. Quelques familles dorment encore dans des garages transformés en habitations, mais le plus grand dénuement se trouve du côté du « nouveau camp ».

« On ne peut rentrer ni sortir sans montrer un permis attribué pour une journée, trois semaines ou de manière permanente, et qui peut être retiré à tout moment. Il arrive aussi qu’on passe la journée en détention sans motif », témoigne Khaled. Tout le secteur est devenu zone militaire, interdite aux étrangers. Seuls les Palestiniens qui y habitaient ou travaillaient et le personnel de l’UNRWA ou d’organisations non gouvernementales (ONG) peuvent y pénétrer.

Dans le vieux camp, les travaux viennent à peine de commencer. « Il a fallu plus d’un an et demi pour déminer le terrain, alors qu’après la guerre israélienne de 2006, les gens sont immédiatement rentrés chez eux, malgré les milliers de bombes à fragmentation déversées sur le Sud », précise Khaled. Dans le nouveau camp, les familles vivent au milieu des ruines et des gravats. Elles reconstruisent leurs maisons éventrées à mains nues. Des couloirs de préfabriqués délabrés servent d’abris provisoires. Quelques petits commerces ont rouvert, mais rares sont les clients à franchir les barrages de l’armée.

L’accès à la propriété refusé par la loi

« Il y aura, pour les Palestiniens, un avant et un après-Nahr Al-Bared », dit M. Ali Hassan. Ils avaient longtemps pensé que leur avenir se jouerait autour de Aïn El-Heloueh, le grand camp de Saïda qui a toujours focalisé l’attention. La présence des groupes djihadistes y est ancienne (2), les incidents fréquents. Mais les organisations palestiniennes y demeurent assez fortes pour maintenir la sécurité. Et surtout, « les extrémistes sont pour la plupart eux-mêmes issus du camp. Ils y ont leurs familles et ne sont pas prêts à l’embrasement. A Nahr Al-Bared, ils s’y sont introduits à partir de 2006 et, pour la plupart, ils n’étaient pas palestiniens, mais libanais, saoudiens, yéménites, irakiens, etc. D’où venaient-ils ? Quels intérêts servaient-ils ? » Des interrogations majeures (3), mais qui finissent par occulter la question essentielle : celle des droits des réfugiés palestiniens au Liban.

« Le refus de leur installation définitive (tawtin) est affirmé aussi bien dans la Constitution que rappelé dans les accords de Taëf (4). Mais ce refus sert de couverture à des traitements discriminatoires », résume ainsi Sari Hanafi, professeur de sociologie à l’université américaine de Beyrouth (5). A ses yeux, la récente modification de la loi sur le travail constitue une amélioration, car elle permet aux Palestiniens d’exercer un certain nombre d’activités jusqu’ici interdites — les professions libérales leur restant cependant fermées. Mais la loi leur interdisant l’accès à la propriété, promulguée en 2001, est, rappelle-t-il, toujours en vigueur et a constitué l’un des principaux obstacles à la reconstruction de Nahr Al-Bared, pour laquelle l’Etat a dû racheter le terrain.

Membre de la commission de reconstruction de Nahr Al-Bared, Sari Hanafi note : « Plusieurs camps palestiniens ont été détruits au Liban, mais c’est la première fois que l’un d’entre eux est reconstruit. C’est un projet pilote, tout à fait inhabituel, mené en coordination avec les réfugiés, les organisations palestiniennes, le Comité de dialogue libano-palestinien (6), les autorités libanaises et l’UNRWA. »

Pour cette dernière, il s’agit du plus important chantier de son histoire, où elle joue sa crédibilité. M. Salvatore Lombardo en est le responsable depuis deux ans et il s’y consacre corps et âme. « Nous ne pouvons pas échouer sans provoquer de grandes désillusions et des bouleversements sociaux qui pourraient avoir des conséquences sur la stabilité du Liban nord. J’espère que les Libanais ne vont pas faire preuve de cécité politique. »

Un an et demi a été nécessaire pour élaborer les plans : « Il fallait d’abord reconstituer chaque lieu, chaque rue, s’entendre sur leur localisation, leur surface, puis leur transformation, obtenir l’accord des familles. Vous imaginez les ressources qu’il faut déployer ! » Les architectes ont tenu compte du tissu sociologique de Nahr Al-Bared, organisé, comme dans la plupart des camps, à partir des relations de voisinage établies dans les lieux d’origine en Palestine avant 1948. Des groupes de réflexion ont été mis en place avec les habitants, dont une grande partie proviennent des villages de Safouri et Safsaf, en Galilée.

La situation s’est compliquée lorsqu’il a fallu soumettre le plan directeur au gouvernement, qui y a apporté un certain nombre de restrictions : pas plus de quatre étages pour les immeubles (la norme habituelle pour les camps), avec des possibilités de balcon ou de terrasse seulement pour les troisième et quatrième étages, de façon à en interdire l’accès à partir de la rue en cas de troubles. Aucune construction en sous-sol. Des routes plus larges : au moins quatre mètres et demi, une dimension qui permet le passage d’un char. Au final, une perte évaluée à au moins 15 % de la surface d’occupation pour chaque famille.

Enfin approuvé, le plan directeur doit encore être exécuté. Il a été découpé en huit zones de reconstruction (nommées packages), chacune devant à son tour être validée par le ministère de l’urbanisme.

D’autres obstacles ont surgi, comme la découverte, début 2009, des vestiges archéologiques d’Orthosia (7), qui ont bloqué les travaux durant de longs mois et contraint l’UNRWA à indemniser le département des antiquités. Le général Michel Aoun, dirigeant chrétien du Courant patriotique libre (CPL), en a profité pour demander un moratoire, entretenant ainsi le blocage. La crainte de l’installation des Palestiniens (8), qui viendrait altérer l’équilibre confessionnel du Liban et serait perçue comme un renoncement au droit au retour des réfugiés, est partagée par l’ensemble des partis politiques libanais.

La somme nécessaire à la reconstruction du vieux camp a été évaluée à 328 millions de dollars. Un tiers seulement, soit 119 millions de dollars, a été versé, et il manque encore 46 millions pour finaliser les packages 3 et 4, soit seulement la moitié du vieux camp. L’agence ne manque pas de communiquer sur l’avancée des travaux afin de convaincre les donateurs (jusqu’à présent essentiellement la Commission européenne, les Etats-Unis et l’Arabie saoudite), qui s’étaient pourtant engagés dès la fin des affrontements et lors de la conférence de Vienne de juin 2008 (9).

Quant au nouveau camp, sa réhabilitation est laissée à la charge de ses habitants, l’agence n’étant pas mandatée pour le reconstruire. Elle a tout juste un budget d’aide d’urgence pour le faire fonctionner.

« Il reste environ trois cents unités en préfabriqué. L’UNRWA a offert à la population de les fermer, notamment cet été où il a fait 45 °C, mais les gens refusent de s’éloigner, car ils sont trop inquiets et veulent marquer par leur présence leur détermination à rentrer chez eux. » Les familles hébergées hors du camp reçoivent une aide au logement. D’abord de 200 dollars, elle a été ramenée à 150 dollars à l’automne 2009. Tandis que le taux moyen des loyers dans la région est passé de 75 à 250 dollars.

Check-points et barbelés

Pour les organisations palestiniennes, la reconstruction du camp fait consensus. « Nous avons perdu la bataille de Nahr Al-Bared, reconnaît M. Jemal Chehabi, responsable politique du Hamas au Liban nord. Nous n’avons pas pu empêcher sa destruction et sommes maintenant responsables de sa reconstruction. » Quant au représentant du Fatah à Badaoui, M. Abou Jihad Fayad, il considère que « Nahr Al-Bared était un accident dont ont été victimes aussi bien les Palestiniens que l’armée », mais rappelle : « Les gens attendent avant tout de rentrer en Palestine. »

C’est le premier dossier sur lequel le Fatah et Hamas coopèrent, un pas important que souligne M. Abdallah Abdallah, nouvel ambassadeur de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à Beyrouth : « Nous travaillons à la création d’une délégation unifiée. Nous ne voulons pas que ce dossier soit traité sous un angle uniquement sécuritaire, mais que l’on prenne en compte nos droits politiques et que l’on améliore la situation humanitaire. Nous voulons déconstruire les clichés qui collent à l’image des camps. Nous y avons besoin de sécurité, les autorités libanaises aussi. Nous devons travailler ensemble. Les traitements discriminatoires peuvent conduire à l’explosion (10). Pour nous, l’important est de garder le contact avec la population et la confiance en notre propre force. »

Responsable du dossier pour l’OLP et directeur du Haut Comité pour Nahr Al-Bared, M. Marwan Abdel-Al, connaît bien le camp, où il a passé les trois mois du siège. Selon lui, les différents obstacles à la reconstruction ont été franchis, mais demeure le problème de la liberté d’accès : « Les check-points arbitraires, les barbelés, le contrôle des déplacements à l’intérieur et à l’extérieur du camp avec des permis imposés à tous les résidents ne peuvent être maintenus. » « En février 2009, ajoute-t-il, le ministère de la défense avait tenté d’installer une base navale au bord du vieux camp. Il y a finalement renoncé, mais nous sommes inquiets d’un projet de poste de police à l’intérieur du camp. »

Cinq millions de dollars seraient en effet réservés à la sécurité dans le camp, jusqu’alors prise en charge par les organisations palestiniennes, selon une disposition du document de Vienne.

Ce dispositif effraie la population, qui y voit une menace pour tout le Liban. « Ce sera, se désole Oum Tarek, comme un test pour étendre le contrôle de l’armée aux autres camps de réfugiés. »

P.-S.

(1) Les affrontements se sont soldés par la mort de quarante-sept civils et de cent soixante-trois militaires, celle de deux cent vingt membres du groupe et l’arrestation d’une centaine d’autres, toujours en attente de jugement, tandis que quelques-uns parvenaient à s’enfuir.
(2) Cf. Bernard Rougier, Le Jihad au quotidien, Presses universitaires de France (PUF), Paris, 2004.
(3) Lire Fidaa Itani, « Enquête sur l’implantation d’Al-Qaida au Liban », et Vicken Cheterian, « Désarroi des militants au Liban », Le Monde diplomatique, février et décembre 2008.
(4) Accords signés le 22 octobre 1989, qui mirent fin à la guerre civile.
(5) State of Exception and Resistance in the Arab World, Centre for Arab Unity Studies, Beyrouth, 2010.
(6) Etabli en 2005 pour tenter de recréer des ponts entre les deux parties.
(7) Antique cité de la Phénicie hellénistique et romaine que l’on situe sur la rive gauche du fleuve Nahr Al-Bared.
(8) Le refus de leur implantation a été rappelé par le président Michel Sleimane lors de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU) du 26 septembre 2010.
(9) Initiative des gouvernements libanais et autrichien, de la Ligue arabe et de l’Union européenne (UE) avec la participation de plusieurs pays du monde arabe, de l’Europe, des Etats-Unis, de la Chine, du Japon et des représentants des institutions financières impliquées dans la coopération et le soutien aux réfugiés palestiniens. Le document de Vienne prévoit aussi de renforcer la sécurité à l’intérieur du camp.
(10) Sur la situation dans l’ensemble des camps du Liban, cf. aussi le rapport de l’International Crisis Group (ICG), « Nurturing instability : Lebanon’s Palestinian refugee camps », février 2009.


Le cheminement d’une idée


Le cheminement d’une idée


Par Alain Gresh

Ils étaient des sionistes convaincus et « la question de savoir s’il existait ou non une nation juive ne se posait même pas. Non seulement elle existait, mais elle avait le droit de retourner en Palestine et de devenir un exemple de justice pour le monde (1) ». Pourtant, pour le philosophe Martin Buber (1878-1965) comme pour le rabbin Judah Magnes (1877-1948), premier président de l’université hébraïque de Jérusalem, devenir un « exemple de justice » ne pouvait s’accommoder de l’oppression des autochtones. Comme d’autres immigrants, ils avaient découvert avec surprise que la Palestine n’était pas une « terre sans peuple » et ils se devaient donc d’inventer une formule de coexistence entre Juifs et Arabes.

Posture essentiellement morale, leur binationalisme trouva un relais politique avec Hachomer Hatzaïr (la Jeune Garde), une organisation puissante qui l’intégra à son programme dès 1929. Récusant l’idée de l’édification d’un centre spirituel juif en Palestine, elle cherchait à répondre à la « question juive » par la création d’un Etat. Pétris de marxisme, ses dirigeants étaient convaincus que seuls les exploiteurs et les riches arabes s’opposaient au projet sioniste. Loin d’être marginaux, les partisans du binationalisme recueillaient 40 % des voix juives en 1944. Mais Hachomer Hatzaïr, comme les autres organisations sionistes de gauche, était incapable de résoudre la contradiction entre son discours et sa pratique nationaliste qui aboutissait, sous le mot d’ordre de « travail juif », à l’expulsion des agriculteurs arabes de leurs terres. Et elle ne trouva donc dans l’entre-deux-guerres aucun interlocuteur arabe influent pour accepter la légitimité de l’installation juive en Palestine.

Au début de l’année 1947, le Royaume-Uni décida d’abandonner le mandat qu’il avait reçu de la Société des nations (SDN) pour la Palestine, et le problème fut porté devant la toute jeune Organisation des Nations unies. Une commission fut créée pour étudier les différentes options. Boycottée par les organisations arabes, elle auditionna les mouvements sionistes. Hachomer Hatzaïr comme Buber déposèrent en faveur d’un Etat binational, mais la majorité des membres de la commission, à l’exception de l’Inde, de l’Iran et de la Yougoslavie, rejetèrent cette option. Le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale vota le partage de la Palestine en deux Etats et une zone sous contrôle international autour de Jérusalem, le tout intégré dans une union économique qui devait couvrir la monnaie, les transports, les douanes, etc.

A l’époque, la majorité des organisations palestiniennes ne rejetaient pas seulement le principe du partage, mais aussi l’octroi de droits politiques aux immigrants venus d’Europe. Seule la Ligue de libération nationale, mouvement communiste, préconisa la création d’un Etat qui garantirait l’égalité de tous ses citoyens, y compris juifs. Oublié pendant deux décennies, ce projet devait renaître après la guerre israélo-arabe de 1967, porté cette fois-ci par le Fatah de Yasser Arafat, auréolé de l’action des fedayins menée à partir de la Jordanie. Le 1er janvier 1969, son comité central proclamait qu’il ne luttait pas « contre les Juifs en tant que communauté ethnique et religieuse », mais « contre Israël, expression d’une colonisation basée sur un système théocratique raciste et expansionniste, expression du sionisme et du colonialisme.(…) Le Fatah proclame solennellement que l’objectif final de sa lutte est la restauration de l’Etat palestinien indépendant et démocratique dont tous les citoyens, quelle que soit leur confession, jouiront de droits égaux (2) ».

C’est un tournant majeur, qui marque l’acceptation par les Palestiniens, non pas de la légitimité du projet sioniste, mais du fait accompli, à savoir la présence sur la terre de Palestine de plusieurs millions de Juifs, dont le Fatah constate qu’il est absurde et injuste de penser qu’ils rentreront « chez eux », ou qu’ils pourraient connaître le sort des pieds-noirs d’Algérie.
Le cinquième Conseil national palestinien de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) se tient en janvier-février 1969 et élit Yasser Arafat à la présidence de son comité exécutif. Une résolution confirme que l’objectif de l’OLP est d’« édifier une société libre et démocratique en Palestine, pour tous les Palestiniens, qu’ils soient musulmans, chrétiens ou juifs (3) »…

En 1970, les Editions de Minuit, à Paris, reprennent un certain nombre de textes du Fatah dans un ouvrage intitulé La Révolution palestinienne et les juifs, dont le retentissement facilitera la reconnaissance en Europe de la légitimité des aspirations palestiniennes : « La nouveauté, peut-on y lire, c’est que des Arabes non juifs exilés, expulsés de leurs maisons et chassés de leur patrie par les juifs installés en Palestine puissent encore (…) en appeler à un Etat groupant les ex-victimes et leurs ex-agresseurs et persécuteurs. Cette idée est révolutionnaire… »

Révolutionnaire, cette proposition l’est incontestablement. Mais elle était aussi ambiguë : quel type d’Etat serait créé ? Quelle Constitution garantirait les droits de tous ses citoyens ? Quel statut aura la culture juive ? D’autre part, en acceptant l’irréversibilité de la présence juive en Palestine, le Fatah soulevait une difficulté qu’il ne sera jamais capable de surmonter : la création d’un Etat unique suppose le concours d’une partie des juifs israéliens. Or, malgré des discussions entamées avec des petits groupes antisionistes, le Fatah n’arrivera pas à construire des ponts avec des secteurs significatifs de la population israélienne.

Cette carence majeure provoquera l’abandon du projet d’Etat démocratique qui, paradoxalement, en reconnaissant le caractère irréversible de la présence juive, préparera les Palestiniens à l’idée du partage. La reconnaissance internationale de l’aspiration palestinienne, notamment après la guerre d’octobre 1973, la position des soutiens de l’OLP — notamment de l’Union soviétique, qui acceptait, comme l’immense majorité des Etats, la légitimité d’Israël —, le peu d’écho du projet d’Etat unique dans la société israélienne vont amener graduellement l’organisation d’Arafat à accepter l’idée de deux Etats vivant côte à côte. Les accords d’Oslo, en 1993, apparaîtront comme un chemin vers cet objectif entériné par les pays occidentaux, par l’Europe d’abord, puis par les Etats-Unis. En 2003, une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU confirme ce consensus. Finalement, même si c’est du bout des lèvres, le premier ministre Benyamin Netanyahou s’y ralliera le 14 juin 2009.

Pirouette de l’histoire : c’est au moment où, sur le terrain, le partage en deux Etats semble relever d’un pari impossible qu’il suscite l’adhésion unanime de la « communauté internationale ».


(1) Susan Lee Hattis, The Bi-National Idea in Palestine During Mandatory Times,Shikmona, Tel-Aviv, 1970, p. 25.
(2) Cité dans Les Palestiniens et la crise israélo-arabe, Editions sociales, Paris, 1974.
(3) Cité dans International Documents for Palestine 1969, Institute of Palestine Studies, Beyrouth, 1970.


Retour au pays



Retour au pays

Par Edward Saïd

Le vendredi 12 juin [1993], vers 19 h 45, notre vol Air-France atterrissait à l’aéroport de Tel-Aviv-Ben-Gourion. Je suis né à Talbiya, Jérusalem-Ouest, en novembre 1935, et je n’y étais jamais revenu, pour une série de raisons tant politiques que personnelles, depuis la fin de l’année 1947, à la veille de la chute de Talbiya aux mains des forces juives.

A la vérité, j’ai une fois passé quelques jours en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, il y a de cela 26 ans ; mais la Palestine que j’ai quittée à 12 ans et l’Israël où nous venions d’atterrir étaient désormais deux lieux différents.

La Palestine arabe fut détruite en 1948 et son peuple, à l’exception de 120 000 de ses membres, expulsé dans un terrifiant exode de masse. Un Etat juif nouveau vit le jour, Israël. Une transformation virtuelle du Moyen-Orient à coups de bouleversements politiques, de guerres, de mutations sociales et de déplacements majeurs de populations commençait. Puis en juin 1967, Israël occupa les 22 % restant du territoire palestinien en envahissant la Cisjordanie et Gaza, respectivement placées depuis 1948 sous contrôles jordanien et égyptien. Durant toute cette période, et bien que venu aux Etats-Unis en tant qu’écolier en 1951 et y vivant depuis comme professeur et écrivain, je demeurai lié au monde arabe où l’idée même d’Israël relevait de l’anathème. La plupart des membres de ma famille, avaient quitté la Palestine au début de 1948 et s’étaient installés en tant que réfugiés à Beyrouth, à Amman et au Caire. J’avais moi-même, depuis 1967, régulièrement visité le monde arabe. J’étais également très impliqué politiquement dans la lutte pour les droits politiques palestiniens.

Quarante-cinq ans de ma vie s’étaient écoulés, et voici qu’enfin je revenais, accompagné de mes enfants, Wadie et Najla, âgés de 20 et 18 ans, - jamais venus, eux, dans une quelconque partie de la Terre sainte - et de mon épouse.

Ce texte traduit de l’anglais, a paru dans The observer du 1" novembre 1992. Nous en publierons la suite et la fin dans notre prochain numéro.

D’origine libanaise, Mariam qui, en revanche, avait déjà visité Jérusalem-Est au début des années 60, alors que la ville était sous juridiction jordanienne.

« Une minute s’il vous plaît ». La jeune fonctionnaire des services d’immigration prit mon passeport américain et se dirigea vers un bureau proche, laissant les trois autres passeports sur le comptoir. Nous étions tous les quatre extrêmement nerveux. Allaient-ils nous refouler ? Allaient-ils nous faire poireauter là, tout particulièrement moi, et fouiller de fond en comble nos bagages ? Allaient-ils - c’était mon cauchemar - me conduire en prison ? Membre du Conseil national palestinien entre 1977 et 1991, institution qualifiée d’organisation ennemie par Israël, j’avais également joué un rôle public dans la défense des droits palestiniens en Europe, aux Etats-Unis et au Moyen-Orient. Je connaissais personnellement Yasser Arafat, dont j’étais grossièrement supposé être la « créature ». J’avais même été occasionnellement présenté comme un complice des terroristes par les propagandistes haineux du lobby israélien aux Etats-Unis.

Nous avions planifié ce voyage quatre ans plus tôt, mais un communiqué du bureau du Premier ministre Yitzhak Shamir annonça que nous ne serions pas autorisés à entrer en Israël. Cette fois nous étions venus sans nous renseigner au préalable, mais nous avions néanmoins averti Muhammad Miari, un ami palestinien membre de la Knesset. La fonctionnaire revint dix minutes plus tard. Poussant vers nous les quatre passeports, elle nous dit avec une certaine indifférence : « OK, vous pouvez y aller ». Aucune question. Nous nous dirigeâmes vers la seconde station où une autre jeune femme était postée à une barrière de sécurité. Le scénario se répéta de façon absolument identique sauf que cette fois le visage familier de Miari. Entré dans la zone de contrôle grâce à son statut de parlementaire, nous accueillit.

Ce qui immédiatement m’étonna chez Muhammad. Et finalement chez tous les Palestiniens d’Israël, fut la facilité, le manque d’affectation, la désinvolture avec lesquelles ils s’adressaient aux Israéliens, civils et fonctionnaires, indistinctement. Je m’attendais à un certain malaise ou même à une certaine crainte, comme cela se constate habituellement entre les membres des groupes dominés et ceux des groupes dominants. Mais là, c’était pratiquement en permanence que ces Palestiniens abordaient les Israéliens avec désinvolture et même, d’une certaine façon, avec assurance. Je le fis remarquer plus tard à des amis et je reçus invariablement la même réponse, à savoir que « nous sommes dans notre patrie aussi » et que « contrairement à eux, nous parlons arabe et hébreu, alors pourquoi être mal à l’aise ? ». L’ignorance israélienne des Palestiniens est par contre évidente sur les panneaux routiers qui sont tous, bien entendu, en hébreu, certains avec des indications en anglais. Seuls quelques rares panneaux sont en arabe. Bientôt nous fûmes dehors, mais sans mes valises, apparemment « égarées ». « Pas d’inquiétude », me dit avec deux clins d’œil et un sourire, l’employé d’El Al préposé aux bagages égarés, « ils referont surface dans quarante-huit heures ». Ce qu’ils firent, avec leur contenu passablement mélangé. Ce fut là toute l’épreuve.

J’appartiens à une génération qui a grandi dans un monde arabe déniant toute reconnaissance de la réalité d’un Etat juif. Cet étrange postulat rendit possible une politique d’ignorance, et fit naître une sorte de vide qui érigea lui-même les remparts qui l’encerclaient, permettant aux dirigeants, tant israéliens qu’arabes, de se sortir de quasiment toutes les situations sous couvert des besoins de sécurité. Jusqu’en 1967, le monde arabe, dont le million de Palestiniens éparpillés dans les exils, oublia jusqu’à l’existence de ses concitoyens demeurés en 1948 en Palestine ; jusqu’en 1967, il était quasiment impossible d’user du terme « Israël » dans un texte en arabe ; jusqu’à notre visite, des Etats - telle la Jordanie dont les dirigeants avaient régulièrement rencontré « secrètement » les dirigeants israéliens - , interdisaient l’entrée de leur territoire à tout citoyen, de quelque nationalité qu’il fut, dont le passeport portait un cachet des fonctionnaires israéliens des frontières.

Tout cela était supposé saper la légitimité d’Israël et la détermination des Israéliens. Ainsi, si nous ne prenions pas acte de la présence d’Israël, celui-ci « s’en irait ». Ce que, bien entendu, Israël ne fit pas. Toutefois, de nombreux Palestiniens - même ceux à qui leur nationalité ou l’immunité parfois attachée à leurs fonctions rendaient la chose possible - mirent longtemps à faire ce voyage de retour, à franchir la barrière et à affronter la dure réalité.

Miari, sa femme et sa fille, ainsi que Rashid Khalidi, un ami palestinien américain qui passait l’été à Jérusalem, nous conduisirent, dans un crépuscule hâtif, vers cette cité extraordinaire. A notre arrivée un ciel parsemé d’étoiles brillantes et parcouru de vents froids, enveloppait les hauteurs de la ville ; et comme nous traversions l’élégante enceinte de pierre de taille de l’American Colony Hôtel, je me rendis compte que j’essayais de freiner le torrent de souvenirs, d’attentes et d’impressions confuses qui m’avaient submergé. Timidement au début, avec plus d’assurance par la suite, je ne cessais de me répéter en mon for intérieur que j’avais le droit d’être là, qu’ici j’étais né, que toutes mes jeunes années avaient laissé leurs traces dans ma ville natale. J’ai été baptisé dans la Cathédrale anglicane Saint-Georges, édifiée en 1899. A quelques dizaines de mètres de notre hôtel se trouvait l’école, qu’à l’instar de centaines de garçons de ma famille, j’avais fréquentée. Ma famille, dont la propriété se trouvait à un peu plus d’un kilomètre de là, était alliée à tout un réseau de familles palestiniennes et était aussi palestinienne qu’on pouvait l’être. Qu’en restait-il aujourd’hui ? Je ne cessais de me le demander. Que pouvait-on retrouver grâce à sa mémoire, que pouvait-on vivre durant une visite de dix jours et malgré les antagonismes extrêmes que j’avais vécus tout au long de ces quarante-cinq ans ?

Ce premier soir nous prîmes un fort agréable dîner avec les Miari et Rashid dans le jardin de l’hôtel, et nous commençâmes à faire nos plans pour le lendemain. J’avais projeté que ce séjour aurait deux aspects, l’un personnel - je voulais revoir et montrer à Mariam et aux enfants la Palestine dans laquelle j’avais grandi mais qui était devenue Israël -, l’autre politique et actuel : je tenais à voir où se trouvaient les Palestiniens, ce qu’ils étaient à Gaza et en Cisjordanie et quels étaient ces lieux que nous revendiquions en tant que peuple pour y exercer notre souveraineté et établir notre Etat.

Mais Israël fit irruption dans ces deux objectifs.

Ma Palestine était devenue un Etat juif, où les Palestiniens qui étaient restés totalisaient 850 000 personnes, soit 18,5 % de la population majoritairement juive. La Cisjordanie et Gaza, où vivent près de deux millions de Palestiniens, étaient des territoires placés sous occupation militaire, gérés par les soldats, les colons et les fonctionnaires coloniaux.

Les distances dont je gardais le souvenir ne correspondaient plus du tout à celles que nous parcourions maintenant. Jéricho et Jérusalem, par exemple, étaient bien plus proches que je ne l’avais supposé. Ma grand-mère avait l’habitude de passer ses hivers à Jéricho, qui à l’époque - et à en juger par la manière qu’avait cette sainte femme de faire méticuleusement et laborieusement ses bagages de nombreux jours avant son départ - semblait être un autre pays. Et voilà que je réalisai, lorsque nous traversâmes Jéricho, ville poussiéreuse et sans grand attrait, sur notre chemin vers Tibériade, plus au Nord, que les deux villes étaient séparées par un trajet d’une demi-heure... Saint-Jean-D’acre en revanche, était bien plus éloignée que dans mes souvenirs, et Haïfa, où l’un de mes oncles vivait sur le mont Carmel qui surplombe la ville, m’apparut comme un pays étranger. De vieux souvenirs de certaines régions comme la Galilée étaient comme recouverts dans mon esprit par des impressions visuelles plus récentes : photographies, scènes de films, publicités pour Israël et images surgies de flots de prose. Cette visite devait servir à se débarrasser d’années de négligence et de connaissances assemblées dans le désordre ; j’allais voir pour la première fois en quatre décades et demie de quoi il retournait.

Jérusalem était le centre de toute l’histoire. Le Saint-Sépulcre, ce centre des centres, était exactement comme je m’en souvenais, un lieu étranger, réduit et sans charme, bondé de touristes grotesques, entre deux âges, tournant en rond dans ce lieu délabré et mal éclairé où coptes, grecs, arméniens et autres membres d’autres rites chrétiens cultivaient chacun son peu attrayant jardin, en s’affrontant parfois ouvertement. Je me souviens qu’enfant, en ces mêmes lieux, mon père me portait sur ses épaules, et que je me demandais qui pouvaient bien être tous ces étrangers barbus et s’il était possible que ce fût là le lieu où le Christ vécut ses dernières heures. Najla et Wadie semblaient perplexes et mal à l’aise devant l’incongruité des lieux. Tous les quatre nous nous frayâmes un chemin vers un office grec orthodoxe où les marmonnements incompréhensibles, les chants et les bousculades furent de peu d’apaisement pour nos cœurs irrités. Tous les groupes organisés étaient conduits par des guides israéliens, ce que nous constatâmes également sur le site de la splendide mosquée du Rocher, l’un des lieux les plus saints de l’islam. Un ami m’expliquera plus tard que tous les guides palestiniens étaient au chômage depuis que les forces d’occupation israéliennes contrôlaient les sites et formaient les guides. Après tout, c’est en passant par Israël que la quasi-totalité des groupes
de touristes venaient en Cisjordanie et à Jérusalem. Pour moi c’était comme un signe intime d’inquiétude : mon grand-père paternel avait pendant un certain temps travaillé comme guide et, enfant, mon père avait, à l’entrée du Saint-Sépulcre, vendu des couronnes d’épines aux touristes. Ces associations de ma mémoire venaient de prendre fin. Néanmoins, à quelque distance de là, sous un renfoncement dans les remparts de la ville, nous tombâmes sur Zalamito, la célèbre pâtisserie dont la spécialité, la mtabaga, était un des gâteaux favoris de ma famille. Un vieux boulanger à l’allure de sage était là alimentant son four, mais cette silhouette quasiment antique donnait l’impression d’une survivance précaire. Et cet après-midi, comme nous nous dirigions en taxi de la vieille-ville vers Jérusalem-Ouest, je ressentis pour la première fois ce mélange étrange d’allégresse et de deuil. J’avais le sentiment de visiter des lieux familiers mais sans savoir s’ils étaient situés en Israël ou dans la Palestine de mes souvenirs.

Là s’élevaient quatre nouveaux quartiers arabes prospères datant quasiment de la période du Mandat (1918-1948) : Baqaa-la-haute, Baqaa-la-basse, Talbiya et Qatamon. Je me souviens que les dernières semaines de l’automne 1947 je devais traverser trois des zones de sécurité, instituées par les Britanniques, pour rejoindre l’école Saint-Georges. En décembre 1947 mes parents, mes sœurs et moi nous partîmes pour l’Egypte. Ma tante Nabiha et quatre de ses cinq enfants restèrent sur place et affrontèrent de graves difficultés. Ils habitaient une zone peuplée de familles palestiniennes non préparées, désarmées, et en février Talbiya tomba aux mains de la Haganah. Aujourd’hui, alors que nous tournons à la recherche de ma maison, je ne vois aucun Arabe, mais les belles demeures anciennes de pierre portent toujours leur identité. Mes souvenirs de la maison elle-même demeuraient assez précis : deux étages ; une entrée par une terrasse ; un balcon en façade ; un palmier et un imposant conifère entre lesquels on passait lorsqu’on montait le petit escalier d’accès ; une place, vide à l’époque, utilisée pour garer les voitures et sur laquelle donnait la chambre où j’étais né, le tout faisant face à l’hôtel King-David et au bâtiment du YMCA.

Je ne me souvenais pas contre des noms des rues de l’époque (il s’avère qu’elles n’en avaient point), mais je m’étais muni d’un plan détaillé dessiné de mémoire par mon cousin Youssef qui vit au Canada et qu’il m’envoya avant mon départ en y joignant une copie de notre titre de propriété de la maison. Il y a quelques années, j’avais appris que Martin Buber avait occupé un temps notre maison après 1948, mais qu’il était décédé dans une autre demeure. Personne ne semblait savoir ce qu’il était advenu de notre maison après le milieu des années 60.

George Khodr, un vieux gentleman, ami de mon père et comptable dans l’entreprise familiale - la Palestine Educationnal Company -, nous servait de guide.

J’avais un souvenir très net des établissements de mon père, dont une merveilleuse librairie (Abba Eban en était un client régulier). Ils longeaient une extension des remparts entre la Porte de Jaffa et la Nouvelle Porte. Tout avait disparu, comme je m’en aperçus lorsque nous dépassâmes les remparts ; à la place du centre commercial animé se dressait maintenant un gigantesque chantier de construction. La famille Khodr avait également habité Talbiya, et George commença par nous emmener vers sa maison pour s’orienter à partir de là. Malgré la flore méditerranéenne Ion se serait cru dans une banlieue chic de Zurich, tant Talbiya affichait sa nouvelle personnalité européenne. Et pendant que nous marchions à travers les rues, George commença à énumérer les noms des villas et de leurs propriétaires d’origine - Kittané, Tannous, David, Haramy, Salameh - comme s’il convoquait tristement un passé enfoui, rappelant du même coup à Mariam les noms de ces mêmes familles de réfugiés qui apparurent à Beyrouth au début des années 50.

Il nous fallut près de deux heures pour retrouver la maison et je dois rendre hommage au plan dressé par mon cousin car c’est uniquement en le suivant à la lettre que nous réussîmes à la localiser. Avant d’y arriver j’hésitais pendant près d’une demi-heure devant la villa au style indiscutablement arabe d’Yitzhak Sha-mir, et dont les contours m’étaient apparus étrangement familiers. Mais j’abandonnais cette piste et acquérais la certitude d’être devant ma maison quelque cinquante mètres plus loin, dans la rue Nahum Sokolow. Là s’élevait notre maison, je le sus soudain, qui de sa masse toujours imposante dominait la place sablonneuse maintenant transformée en un petit parc élégant et quasiment manucuré. Ma fille me raconta par la suite que, en utilisant avec une excitation de maniaque son appareil photo, j’avais pris 26 photos du lieu. Ironie des ironies, une plaque était apposée à l’entrée de la maison. Elle portait la mention « International Christian Embassy ». Retrouver sa maison familiale occupée non point par une famille juive mais par un groupe fondamentaliste chrétien d’extrême droite, militant activement pour le sionisme, dirigé par rien moins qu’un Boer d’Afrique du Sud - entretenant, qui plus est, des liens peu ragoûtants avec les Contras -, fut un rude coup pour l’enfant de parents chrétiens que je suis. La colère et la mélancolie m’envahirent. Aussi, lorsqu’une Américaine les mains pleines de linge à laver sortit de la maison et demanda si elle pouvait faire quelque chose pour nous, je ne parvins qu’à lâcher un instinctif : « Non merci ».

Plus que tout ce fut la maison dans laquelle je n’entrais pas, dans laquelle je ne pouvais pas entrer, qui symbolisa l’inquiétante irrévocabilité d’une histoire qui me regardait de la pénombre de ses fenêtres, à travers un immense abîme que je me trouvais dans l’incapacité de franchir. La Palestine telle que je la connaissais n’était plus, et me revint immédiatement à l’esprit ma dernière rencontre avec mon père, quelques jours avant sa mort à Beyrouth. Je devais repartir pour reprendre mon travail à New York, et j’étais venu lui faire mes adieux. Atteint d’un cancer, il gisait dans son lit, tantôt plongé dans le coma, tantôt en émergeant, et après que je l’eusse embrassé, il retourna son visage contre le mur et sembla tomber dans un sommeil soudain. C’était en janvier 1971.

En juin 1992, exactement quatre jours après avoir retrouvé ma maison à Jérusalem, j’emmenais ma famille visiter la vieille « école de l’évêque » comme on la qualifiait en arabe. Là je montrais à mon fils Wadie le nom de son grand-père, qui est également le sien, sur le tableau de la première équipe de cricket entre 1906 et 1911. Dans la salle de réunion où se tenaient les prières du matin un employé septuagénaire nous demanda timidement si nous désirions regarder les vieilles photographies de l’école. Il nous en ramena quatre de la cave - une photo de classe de 1942, le personnel enseignant en 1927, etc. - et nous dit que l’on était sur le point de les jeter. L’une d’elles attira mon attention. Un travail d’une grande beauté plastique. Elle était signée « K. Raad » du nom du plus célèbre des photographes palestiniens - Raad, un jeune homme nerveux et doué qui, je m’en souviens, nous alignait et réalignait pour les photos de groupe à l’occasion des mariages et des confirmations. Sur l’une des photos que le vieil homme nous montra je vis assis à même le sol un jeune garçon tenant un ballon de football. Il y avait une date : « 1906 ». Cet adolescent était mon père à l’âge de 13 ou 14 ans. Cette coïncidence cruelle était de trop pour moi : l’histoire de ma famille qui reprenait vie à travers cette étonnante sérénité de l’image de mon père adolescent, tel que je ne l’ai jamais connu, et les images qui me revenaient de la maison silencieuse de Talbiya, avec son lamentable destin désormais hypothéqué entre des mains « chrétiennes ». Ce monde semblait condamné à n’être plus que débris, lambeaux occasionnels de la mémoire et de la mélancolie.

Je crois que c’est à cet instant seulement que j’ai compris pourquoi j’avais abandonné la politique active, démissionnant un an plus tôt du Conseil national palestinien ; et pourquoi j’avais eu le sentiment qu’il me fallait revenir en Palestine tout de suite. En septembre de l’année dernière, j’avais appris brutalement que je souffrais d’une insidieuse et chronique maladie du sang. J’avais alors pris conscience pour la première fois dans ma vie que j’étais mortel, ce que j’avais jusque-là délibérément ignoré. N’était-ce pas ce diagnostic qui m’avait fait ressentir le besoin de venir confronter ma propre mort (prévisible) avec ma propre famille, ici, à la source, en Palestine ? Alors les souvenirs de récits antérieurs qui commençaient et se terminaient à Jérusalem me semblèrent être, d’une part les compagnons appropriés de ma vie qui refluait ; et d’autre part, comme les rappels concrets que moi aussi, tout comme ils avaient commencé et s’étaient terminés, je passerais ainsi que mes enfants, eux qui pouvaient enfin voir pour la première fois la lignée continue des générations de notre famille, ainsi que les lieux auxquels nous appartenions et dont nous avions été bannis.

Je ne savais pas alors pourquoi la suite de notre séjour fut dominée par des réminiscences ayant trait à la famille de ma mère, originaire de Safad et de Nazareth. Rétrospectivement je me dis que je devais y trouver quelque équilibre face à l’austérité du milieu familial de mon père. Ma mère venait d’une famille peu touchée par la tendance « classe moyenne », et plutôt excentrique et inspirée en comparaison de la Jérusalem anglicane, formaliste et mortuaire dont mon père était issu. (Jusqu’à sa mort, Nabiha la sœur de mon père appelait sa meilleure amie « Madame Marmura » qui lui rendait du « Madame Said », alors qu’elles étaient les meilleures amies depuis plus de cinquante ans.)

En route vers Safad puis Nazareth, nous traversâmes Beisan. J’avais encore le souvenir d’un village arabe ensommeillé : c’est devenu une ville sans attraits et exclusivement juive - Beit Shean -, avec ses rangées d’appartements anonymes alignés des deux cotés de la route. La différence frappante entre ces douces collines arrondies et plutôt arides, avec leurs petites bandes de verdure, leurs roches grises, leur terre brune, et ces blocs uniformes d’immeubles érigés partout par les Israéliens donnait l’impression que plutôt que d’incompatibilité il y avait là comme une inimitié, comme si cette terre qu’ils s’étaient appropriée devait être mise au pas, et réduite en esclavage.

Puis sur le chemin de Tibériade je me rendis compte que tout au long de la côte, de Jérusalem vers Haïfa puis Saint-Jean-D’acre, pratiquement tout espace ouvert, du terrain de foot au verger ou au parc de loisirs, était entouré de fils barbelés. Cette sorte d’obsession de la clôture s’intégrait étroitement avec les nombreuses prisons que je vis, telle celle de Telamund, tout au long de la route vers Haïfa, avec leurs prisonniers, des Palestiniens en majorité, et leurs rangées de fils barbelés qui semblaient sans fin - une, deux, trois quatre rangées.

Un autre contraste me frappa particulièrement dans des sites tel Tibériade : le soudain étalage hautain des hôtels de luxe, des tours en copropriété et autres bâtisses du même genre, lançant le message : « Vacances Coûteuses ». Nous nous arrêtâmes pour un café au Moriah Plaza, lieu dans le style Miami Beach, où, dans cette enclave exclusivement juive, un jeune Palestinien avec lequel nous avions rendez-vous m’impressionna par son aisance. C’était la première fois que nous nous trouvions en pareil endroit, et nous eûmes tendance presque instinctivement à souligner notre coté américain, nous protégeant par l’usage de l’anglais, et ainsi de suite. Mais pas Muhammad, qui de toutes les façons ne parlait pas anglais, et qui s’adressait à nous avec insistance en arabe, d’une voix suffisamment haute pour qu’elle fût entendue, et qui, avec le même aplomb, s’adressait en hébreu à la jolie serveuse israélienne.

Après Tibériade nous nous arrêtâmes à Tabgha, un village minuscule à l’extrême nord du lac et que je n’avais pas revu depuis 1945. Ce village disposait d’une plage singulièrement paisible, belle sans prétention, qui était associée dans ma mémoire au maïs grillé que des marchands ambulants vendaient là. Aujourd’hui on y trouve une église allemande prétentieuse qui gâche la vue. Et comme nous repartions rapidement je remarquai pour la première fois que Tabgha était quasiment accolé à Capharnaùm où avait eu lieu le miracle de la multiplication des pains. Nous avions l’habitude de descendre vers Tabgha en venant de Safad où vivait mon oncle maternel, Munir, et où avec un plaisir extrême nous effectuions des séjours l’été. Mon oncle, médecin réputé, s’était réfugié avec sa femme en Jordanie, où ils sont morts il y a une quinzaine d’années. Accrochée aux rebords d’une façade montagneuse, Safad aujourd’hui est totalement nettoyée de ses habitants arabes.

Mélange de colonies religieuses ou artistiques, elle s’est étendue en différents agglomérats dans toutes les directions, de sorte à m’empêcher absolument de deviner où se dressait la demeure de mon oncle Munir, visitée pour la dernière fois en 1945. Nous rencontrâmes un vieil homme qui ressemblait à un arabe, marchant péniblement sur la route, mais, a) il ne savait pas où se trouvait le « centre de la ville » - c’était là mon seul et vague point de repère -, b) il s’avéra être marocain et, malgré son hébreu tout à fait courant, préféra nous parler en arabe. Puis, soudain, après un tournant j’aperçus le long et sinueux escalier qu’enfants nous montions et descendions et qui nous menait de la maison familiale vers celle de Jamilé - je n’ai jamais su que son prénom -, qui nous faisait jouer avec des cartes postales aux couleurs criardes et une minuscule lanterne magique. Ce fut un extraordinaire sentiment que de gravir ces escaliers bordés désormais de boutiques vendant des objets pieux judaïques et de voir soudain apparaître, en haut, la demeure de mon oncle avec son balcon étrangement élevé, ses arches de style ottoman et ses escaliers raides accolés à ses murs.

Comme Safad a changé ! De l’autre côté de la rue un groupe de membres de la secte hassidique des Loubavitch faisaient exactement ce qu’ils font à New York, vendant leur littérature, cherchant à convertir de nouveaux membres, se tenant à distance des autres. La circulation est interdite dans les rues nouvellement pavées de la ville et occupées par une foule de touristes, de soldats, de marchands vaquant entre les cafés, les magasins d’électronique et autres.

Comme à Talbiya, un sentiment de mélancolie m’envahit bientôt, et cette même sensation d’une histoire achevée, rangée, continuant désormais ailleurs. La demeure de mon oncle était désignée « Siège de la municipalité » par une plaque ; mais il suffisait de regarder à travers l’une de ses fenêtres les moins sales pour immédiatement constater que non seulement elle n’était pas utilisée mais que, avec ses chaises et ses tables éparpillées en pagaille, elle semblait figée dans le temps, comme la Satis House de Miss Davisham.

Étrangement, c’est Nazareth qui, avec éclat, me ramena vers la vie. De tous les lieux palestiniens visités ce fut le plus riche en signes et le plus vague en termes de souvenirs.

Mon grand-père maternel Shukri Musa-Bishouty, mort à la fin des années 20, est enterré à Nazareth où il a fondé et bâti l’église anglicane, et élevé une nichée d’enfants étonnamment doués : ma mère Hilda et quatre garçons qui devinrent médecin, avocat, physicien et banquier, tous charmants, tous faciles à vivre, tous musiciens, en somme - malgré ou peut-être à cause de l’implacable fondamentalisme baptiste de leur père - tous très différents de la grisaille de l’anglicanisme victorien, tel celui de la famille de Théobald Pontifex dans The way of ail Flesh, caractéristique à mes yeux de la famille de mon père. Ce qui traverse également la famille Musa-Bishouty est cette composante libanaise qui nous rattache à la malice byzantine et à la pulsion hédoniste de cette terre donquichottesque, avec son mélange confus d’intelligence et d’inconscience sanguinaire.

Nazareth aujourd’hui est en réalité constituée de deux villes : la bruyante médina arabe où avaient prospéré les Musa ; et l’autre, Nazareth-la-haute, la ville nouvelle juive élevée de manière ostentatoire sur la crête des collines qui commandent la ville basse arabe.

Pour Mariam et moi, Nazareth fut le seul lieu où rapidement nous nous sentîmes chez nous, tel un Beyrouth ou un Amman à petite échelle, le seul site palestinien d’avant 1948 qui n’avait pas été totalement violé ou disloqué par l’histoire ultérieure. Nous fûmes accueillis et guidés par de proches amis de la famille (tel le célèbre romancier Emile Habibi), et ce répit nous a permis de commencer par une sorte d’exploration nonchalante des lieux avant de nous lancer dans la véritable visite de la ville. Lorsque nous débouchâmes sur la place principale j’associai presque instinctivement le puits de la Vierge à la maison toute proche où ma mère était née et avait grandi. Rien n’avait changé. Mon oncle Emile, qui vit aujourd’hui à Athènes et qui quitta Nazareth il y a une cinquantaine d’années, m’avait fourni suffisamment d’indications pour localiser la maison en prenant pour repères le puits et le séminaire moscovite, une imposante bâtisse carrée qui servait maintenant de quartier général pour la police. Contrairement à Jérusalem, Nazareth demeurait la ville qu’elle fut en 1948.

Etrange à quel point, et bien que la maison des Musa ait été détruite et l’église baptiste complètement rebâtie, j’ai eu un sentiment de vie à Nazareth, et considérablement moins de regrets qu’à Jérusalem. La nouvelle église baptiste, possède désormais une façade malséante conçue sous la forme d’une succession d’alvéoles de ruche. Ainsi qu’une voix américaine amicale me le précisa au téléphone, la tombe de mon grand-père avait été déplacée de l’église et ses restes enterrés dans un cimetière proche. « Nous avons très bien fait les choses », m’assura-t-il en précisant que toutes les formalités nécessaires avaient été effectuées avec les inspecteurs israéliens de la santé. Et il ajouta presque en s’excusant : « Tout ce que nous avons trouvé dans le cercueil, ce furent quelques os et une bible. » Je m’empêchais de lui demander s’il s’attendait à trouver autre chose.

Une semaine plus tard, à Amman, un journaliste américain m’interrogeait sur mon séjour et, non sans une certaine réticence, je me fendis d’une description sommaire. « Ce n’est pas pour rabaisser l’expérience que vous venez de vivre, Mr le Professeur, mais si je rendais visite aujourd’hui la ville du New Jersey où j’ai moi-même grandi, les changements seraient similaires à ceux que vous décrivez. ». Peut-être, mais j’en doute - le New Jersey n’ayant pas disparu il y a quarante-cinq ans ni été remplacé par un nouveau pays quasiment européen. De plus, mon interlocuteur américain ne semblait pas être retourné dans sa ville pour y constater les changements. Je l’avais fait et j’en étais tout bouleversé.


Les dix stratégies de manipulation de masses




Les dix stratégies de manipulation de masses

Noam Chomsky

Le linguiste nord-américain Noam Chomsky a élaboré une liste des « Dix Stratégies de Manipulation » à travers les média. Nous la reproduisons ici. Elle détaille l’éventail, depuis la stratégie de la distraction, en passant par la stratégie de la dégradation jusqu’à maintenir le public dans l’ignorance et la médiocrité.


1/ La stratégie de la distraction

Élément primordial du contrôle social, la stratégie de la diversion consiste à détourner l’attention du public des problèmes importants et des mutations décidées par les élites politiques et économiques, grâce à un déluge continuel de distractions et d’informations insignifiantes. La stratégie de la diversion est également indispensable pour empêcher le public de s’intéresser aux connaissances essentielles, dans les domaines de la science, de l’économie, de la psychologie, de la neurobiologie, et de la cybernétique. « Garder l’attention du public distraite, loin des véritables problèmes sociaux, captivée par des sujets sans importance réelle. Garder le public occupé, occupé, occupé, sans aucun temps pour penser ; de retour à la ferme avec les autres animaux. » Extrait de « Armes silencieuses pour guerres tranquilles »

2/ Créer des problèmes, puis offrir des solutions

Cette méthode est aussi appelée « problème-réaction-solution ». On crée d’abord un problème, une « situation » prévue pour susciter une certaine réaction du public, afin que celui-ci soit lui-même demandeur des mesures qu’on souhaite lui faire accepter. Par exemple : laisser se développer la violence urbaine, ou organiser des attentats sanglants, afin que le public soit demandeur de lois sécuritaires au détriment de la liberté. Ou encore : créer une crise économique pour faire accepter comme un mal nécessaire le recul des droits sociaux et le démantèlement des services publics.

3/ La stratégie de la dégradation

Pour faire accepter une mesure inacceptable, il suffit de l’appliquer progressivement, en « dégradé », sur une durée de 10 ans. C’est de cette façon que des conditions socio-économiques radicalement nouvelles (néolibéralisme) ont été imposées durant les années 1980 à 1990. Chômage massif, précarité, flexibilité, délocalisations, salaires n’assurant plus un revenu décent, autant de changements qui auraient provoqué une révolution s’ils avaient été appliqués brutalement.

4/ La stratégie du différé

Une autre façon de faire accepter une décision impopulaire est de la présenter comme « douloureuse mais nécessaire », en obtenant l’accord du public dans le présent pour une application dans le futur. Il est toujours plus facile d’accepter un sacrifice futur qu’un sacrifice immédiat. D’abord parce que l’effort n’est pas à fournir tout de suite. Ensuite parce que le public a toujours tendance à espérer naïvement que « tout ira mieux demain » et que le sacrifice demandé pourra être évité. Enfin, cela laisse du temps au public pour s’habituer à l’idée du changement et l’accepter avec résignation lorsque le moment sera venu.

5/ S’adresser au public comme à des enfants en bas-âge

La plupart des publicités destinées au grand-public utilisent un discours, des arguments, des personnages, et un ton particulièrement infantilisants, souvent proche du débilitant, comme si le spectateur était un enfant en bas-âge ou un handicapé mental. Plus on cherchera à tromper le spectateur, plus on adoptera un ton infantilisant. Pourquoi ? « Si on s’adresse à une personne comme si elle était âgée de 12 ans, alors, en raison de la suggestibilité, elle aura, avec une certaine probabilité, une réponse ou une réaction aussi dénuée de sens critique que celle d’une personne de 12 ans ». Extrait de « Armes silencieuses pour guerres tranquilles »

6/ Faire appel à l’émotionnel plutôt qu’à la réflexion

Faire appel à l’émotionnel est une technique classique pour court-circuiter l’analyse rationnelle, et donc le sens critique des individus. De plus, l’utilisation du registre émotionnel permet d’ouvrir la porte d’accès à l’inconscient pour y implanter des idées, des désirs, des peurs, des pulsions, ou des comportements…

7/ Maintenir le public dans l’ignorance et la bêtise

Faire en sorte que le public soit incapable de comprendre les technologies et les méthodes utilisées pour son contrôle et son esclavage. « La qualité de l’éducation donnée aux classes inférieures doit être la plus pauvre, de telle sorte que le fossé de l’ignorance qui isole les classes inférieures des classes supérieures soit et demeure incompréhensible par les classes inférieures. Extrait de « Armes silencieuses pour guerres tranquilles »

8/ Encourager le public à se complaire dans la médiocrité

Encourager le public à trouver « cool » le fait d’être bête, vulgaire, et inculte…

9/ Remplacer la révolte par la culpabilité

Faire croire à l’individu qu’il est seul responsable de son malheur, à cause de l’insuffisance de son intelligence, de ses capacités, ou de ses efforts. Ainsi, au lieu de se révolter contre le système économique, l’individu s’auto-dévalue et culpabilise, ce qui engendre un état dépressif dont l’un des effets est l’inhibition de l’action. Et sans action, pas de révolution !…

10/ Connaître les individus mieux qu’ils ne se connaissent eux-mêmes

Au cours des 50 dernières années, les progrès fulgurants de la science ont creusé un fossé croissant entre les connaissances du public et celles détenues et utilisées par les élites dirigeantes. Grâce à la biologie, la neurobiologie, et la psychologie appliquée, le « système » est parvenu à une connaissance avancée de l’être humain, à la fois physiquement et psychologiquement. Le système en est arrivé à mieux connaître l’individu moyen que celui-ci ne se connaît lui-même. Cela signifie que dans la majorité des cas, le système détient un plus grand contrôle et un plus grand pouvoir sur les individus que les individus eux-mêmes.