Les coptes se sont affranchis de leur Eglise




Les coptes se sont affranchis de leur Eglise

Les chrétiens d'Egypte ne veulent plus de la tutelle de leur pape Chenouda III, jugé trop conciliant avec l'ancien régime. Ils souhaitent à présent peser sur la vie politique.

Par Nader Shukri 

La révolution du 25 janvier, il y tout juste un an, n'a pas seulement mis fin au règne de Moubarak. Elle a également permis à la société de sortir du silence dans lequel l'avaient enfermé des décennies de dictature. Et les coptes [chrétiens d'Egypte] ne font pas exception. Jusque-là, l'Eglise avait été la seule voix à s'exprimer en leur nom et à se poser en interlocuteur avec le régime. Depuis, ils ont commencé à s'exprimer, à sortir des églises pour investir la rue et à manifester à l'instar des autres Egyptiens. Ainsi, ils marquent une rupture avec leur clergé et contribuent à faire émerger de nouvelles forces. Beaucoup se félicitent de cette expression nouvelle – bien qu'encore imprécise – dépassant les murs de l'Eglise.

Selon Chérif Dous, président du Comité général des coptes, la révolution a introduit du pluralisme parmi cette communauté, même s'il faudra davantage d'organisation et de coordination pour s'inscrire dans le temps aux groupes qui ont vu le jour, tels que l'Union des jeunes de Maspero [du nom de la place au centre du Caire où des dizaines de coptes ont été tués par la police le 9 octobre]. Plus de 300 candidats coptes ont participé aux élections législatives. Vont-ils pouvoir peser, notamment dans les banlieues pauvres et les campagnes ? Les partis politiques vont-ils permettre la participation copte ? De ces questions dépendra le fait de savoir s'ils continueront de s'engager en politique ou s'ils se replieront de nouveau sur une Eglise dirigée par le pape copte Chenouda III.

Amir Zaki, figure de la communauté copte d’Alexandrie, se félicite également du fait que la révolution ait permis aux coptes de refuser toute tutelle cléricale et qu'ils ont au contraire participé dès le départ aux manifestations de la place Tahrir, rejoint des partis et embrassé des causes nationales, pas seulement communautaires. Quant à l'intellectuel copte Gamal Asaad, il estime que le problème copte ne sera résolu qu'à condition que les coptes participent à la vie politique en tant que citoyens ordinaires, évitant de tomber dans le piège d'une nouvelle coupure d'avec le reste de la société.

Le politologue Hani Labib constate que la rupture d'avec l'Eglise s'explique par le silence injustifiable que celle-ci a gardé face aux événements. Sous l'ancien régime, elle avait été le seul interlocuteur de l'Etat, mais, même après la chute de Moubarak, Chenouda III a demandé la levée du campement devant le siège de la radio-télévision d'Etat à Maspero [pour protester contre la couverture biaisée de celle-ci], demande unanimement rejetée par les manifestants. "Pardon mon pape, mais vous êtes notre père spirituel, pas politique", s'exclame Labib, tout en admettant qu'on ne peut effacer d'un trait une culture politique ancrée durant cinquante années d'ancien régime.

De son côté, Imad Gad du Parti social démocrate égyptien explique que les coptes s'étaient d'abord portés sur le vieux parti Wafd [laïc], considéré comme libéral, mais qu'ils s'en sont éloignés depuis qu'il a fait alliance avec les Frères musulmans pour se tourner vers d'autres partis libéraux. Georges Ishak, leader du mouvement Kefaya ["Ça suffit", mouvement d’opposants laïcs], estime que les coptes, en se rebellant contre la tutelle cléricale, contribuent à la vitalité politique du pays, ce qui s'est manifesté lors des élections au sein des syndicats professionnels et aux élections législatives, malgré la présence des forces islamistes.

Face à la montée des partis islamistes, le pays est-il en voie de "pakistanisation" ? Les coptes seront-ils contraints d'émigrer ? Ramsès Al-Naggar, avocat de l'Eglise copte, estime qu'il faut réagir par la création d'un Conseil des coptes, représentant les coptes sur le plan civil et non religieux. Kamal Zakher, intellectuel copte, pense quant à lui que les islamistes n'auront d'autre choix que la démocratie et le respect des libertés et qu'il sera donc impossible que les coptes soient traités en minorité sous tutelle [dhimmis]. Dans le même temps, ajoute-t-il, les coptes doivent s'intégrer dans la vie politique, en tant que citoyens et en dépassant les clivages et les peurs. Autrement dit, il faut éviter un face-à-face entre deux camps, l'un musulman, l'autre chrétien.