"Les Iraniens aspirent toujours à la liberté"



"Les Iraniens aspirent toujours à la liberté"


A l'occasion de la sortie de son roman graphique Une métamorphose iranienne, le dessinateur Mana Neyestani revient sur les circonstances qui l'ont mené à l'exil. Il est convaincu que le mouvement démocratique n'est pas mort dans son pays.

Propos recueillis par Hamdam Mostafavi 


Une métamorphose iranienne [Arte éditions/Ça et là, 2012] est votre premier livre publié en France. Il raconte l'enchaînement d'événements qui vous ont poussé à fuir le pays. Avant votre exil en 2006, vous aviez publié quatre ouvrages en Iran. Quelles sont les conditions de publication dans votre pays ?

MANA NEYESTANI En Iran, il faut demander une autorisation au ministère de la Culture et de l'Orientation islamique pour pouvoir publier. A ce stade-là, beaucoup de choses sont déjà censurées par le comité ! Pour mes livres précédents, j'ai eu certaines difficultés, mais il ne faut pas oublier que j'ai publié ces livres dans les années 2000 à 2004, au moment où [le religieux réformateur] Mohammed Khatami était président [de 1997 à 2005]. La situation était beaucoup plus facile pour les artistes. On publiait beaucoup plus facilement, des livres, des journaux, des caricatures. Après publication, il pouvait nous arriver de nous retrouver dans un procès. Mais, depuis l'arrivée de Mahmoud Ahmadinejad [élu à la présidence en 2005], c'est dès le début de la démarche que l'on est censuré, on ne peut même pas obtenir de permis de publication.

Vous avez été arrêté puis emprisonné en 2006 à cause de l'un de vos dessins. Dans le supplément pour enfants du quotidien gouvernemental, vous aviez représenté un cafard disant un mot azéri, ce qui a été interprété par cette minorité comme une provocation. Est-ce que vous vous attendiez à cette polémique ?

Non vraiment, je ne pensais pas qu'il pouvait m'arriver quelque chose. Pour les caricaturistes, notamment ceux qui agissent dans le domaine politique, on s'attend toujours en Iran à ce que quelque chose arrive. Il y a toujours la possibilité que l'on trouve une dimension politique dans vos dessins et qu'on commence à vous faire des difficultés. Mais je ne pensais pas du tout qu'en dessinant pour les enfants cela se produirait.

Vous commencez avec une scène de Kafka, et le mot métamorphose est dans le titre de votre livre, c'était quelque chose d'important pour vous ?

C'est une coïncidence d'une certaine manière qu'un cafard soit si important dans mon histoire personnelle et que, dans l'histoire écrite par Kafka, un cafard ou plutôt la transformation d'un homme en cafard soit au centre de l'histoire. De plus, j'ai le sentiment que les situations dans lesquelles je me suis retrouvé étaient réellement très kafkaïennes. Quand on est pris dans un système où on ne peut plus contrôler notre vie, où votre destin ne vous appartient plus, tout cela devient un mélange de tragédie et de comédie, et cela me semblait avoir beaucoup de liens avec le cauchemar kafkaïen. La métamorphose est un des thèmes centraux de mon livre, la peur de perdre son identité, le changement de son identité à cause du système, à cause des circonstances, des problèmes sociaux et politiques. J'ai écrit ce livre pour retrouver mon identité. Je suis fait de telle sorte que si on m'enlève le crayon je peux très facilement ne plus être moi-même. J'ai besoin de travailler, et ce livre m'a aidé à me débarrasser de mes cauchemars.

La liberté est aussi un thème central de votre livre. Avez-vous le sentiment de refléter une aspiration des Iraniens ?

De nombreux Iraniens aspirent à la liberté. Même si leur idée de la liberté n'est pas forcément très claire. Mais c'est quelque chose qu'ils aimeraient parvenir à avoir. Je pense que les Iraniens, à cause de leur éducation, de leur famille et en général du système tyrannique dans lequel ils ont vécu ces cent dernières années – voire depuis des siècles – ont un cadre qui limite leur liberté. Mais moi aussi j'ai ce cadre : c'est très difficile de sortir de ce cadre et de cette autocensure, de se libérer du système. Il y a des encore choses que je ne dis pas.

A votre avis, les événements de 2009 [le mouvement de contestation contre la réélection de Mahmoud Ahmadinejad] ont-ils changé la société iranienne, ou pensez-vous que le mouvement d'opposition est terminé ?

En vérité, je regarde la société iranienne depuis bien plus longtemps que ça. Je vois une tendance vers la démocratie et la liberté qui existe depuis au moins cent ans en Iran. Ce mouvement a connu des hauts et des bas, il a été réprimé, mais globalement, tous les dix ans, il s'exprime. Par la révolution de 1979, le mouvement des étudiants en 1999, puis en 2009 par le Mouvement vert, par exemple. Pour moi, ce n'est pas terminé. Je pense que c'était un mouvement vraiment significatif car des parties importantes de la société y ont participé. Peut-être qu'à court terme la révolution n'a pas eu lieu, mais au-delà, dans toutes les couches de la société, je suis sûr que cette tendance et ce désir de démocratie et de liberté se sont renforcés.

Des élections législatives ont lieu le 2 mars prochain, pensez-vous que les Iraniens vont y participer ou contester ?

Je ne sais pas si quelque chose va se passer. Après 2009, le problème, c'est que l'on s'est rendu compte que voter était devenu inutile, que cela ne changeait rien que l'on vote ou pas. Après 2009, l'intérêt du vote en Iran est mort. Par contre, j'espère que l'intérêt du reste du monde pour le Mouvement vert n'était pas juste une mode. Je vois bien que les hommes politiques des pays occidentaux sont un jour passionnés par le Mouvement vert, puis le lendemain par le "printemps arabe", et cela passe. J'espère que les malheurs de notre peuple ne sont pas seulement un divertissement passager pour les Occidentaux. Le monde nouveau et moderne est très lié : si l'Iran ou les pays du Moyen-Orient ont des difficultés, ont des gouvernements autocratiques, cela aura forcément des conséquences sur les sociétés occidentales. Alors elles doivent y prêter attention. On parle beaucoup du nucléaire iranien, c'est normal que chaque pays se préoccupe d'abord de sa propre sécurité. Mais ils doivent aussi voir à plus long terme, et comprendre que la bombe n'est pas le seul danger : les politiques qui provoquent la haine entre les peuples, c'est ça qui est le plus dangereux.

Et vous qui maintenant vivez à Paris, quel rôle pouvez-vous avoir en tant que dessinateur ?

La seule chose que je sais faire, c'est dessiner ! Je suis convaincu que les petites actions culturelles et sociales que nous menons chacun de notre côté peuvent devenir une sorte de vague. Heureusement, le monde a changé par rapport à ces quinze dernières années, grâce aux nouveaux médias et à Internet. Jusqu'à la fin des années 1990, le pouvoir iranien cherchait à se débarrasser des intellectuels et des artistes, ceux qui avaient des problèmes politiques, car il avait le sentiment qu'ils devenaient inoffensifs en s'exilant. D'une certaine manière, le pouvoir avait raison. Aujourd'hui, avec Internet, la situation a changé. Une forte communauté d'intellectuels iraniens s'est formée hors d'Iran, et c'est vrai qu'elle est assez désunie, mais elle parvient à faire bouger les choses aussi à l'intérieur du pays par le biais d'Internet. Le régime iranien a changé de stratégie, et les intellectuels importants comme le cinéaste Jafar Panahi [condamné en 2010 à vingt ans d'interdiction et de tourner et de quitter le pays] ne sont pas autorisés à quitter le pays ou sont enfermés. A mon avis, nous pouvons exercer une influence.