Chronique de la tristesse ordinaire ( Mahmoud Darwich )




(...) La première fois, ce fut à l’aéroport français du Bourget, et une autre fois, dans une rue de Sofia ?
Tu fus pressé de te déclarer exactement, de te définir.
Ton identité, sur tes papiers, était : "non définie", mais en toi elle pointait comme une lumière. Il te fallait soudain faire concorder les deux choses, comme si c’était la première fois dans ta vie que tu affrontais la question : Qui es-tu ?
La police française n’avait pas les moyens de comprendre un fait que ne comprendrait pas la police israélienne. Ton permis de voyage disait que tu avais une nationalité "non définie". "Où es-tu né ? – En Palestine. – Et où vis-tu ? – En Israël". Donc : statut non défini.
Dans la salle d’isolement de l’aéroport, tu réfléchissais à ce grief d’être sans définition. Tu cherchais en vain une preuve d’identité. Ainsi, ces gens là-bas, qui sont sortis des Livres antiques, n’ont pas seulement ravi ton pays, mais le moyen même d’appartenir au vaste monde. En décidant leur autodétermination, ils effacèrent de ton visage toutes les marques par lesquelles le monde te reconnaissait. Comme il était difficile de faire franchir un espace historique !
Alors que le monde entier ne perçoit plus que des distances géographiques. Tu es palestinien, tu le sais, seulement la Palestine n’apparaît pas dans le paysage du monde ! Quand tu veux voyager à travers ce monde, te voilà obligatoirement empêtré dans ton statut cruel. Tu es israélien, mais ton lieu de naissance et ton appartenance et ton refus t’ont transformé en un écheveau de confusions et de contradictions. Eh bien, qui es-tu ?