Des signes de l'amour, Le collier de la colombe ( Ibn Hazm 994-1064 )



Des signes de l'amour

L'amour a des signes que l'homme sagace décèle et dont toute personne intelligente s'avise. Le premier c'est la contemplation prolongée de l'objet aimé. Or, l'oeil est la porte grande ouverte sur l'âme; il scrute ses secrets, il exprime ses pensées intimes; il est la traduction du for interne...
Mon oeil ne se repose sur nul autre que toi. Il semble que ce qu'on raconte des propriétés de l'aimant s'applique sur toi.
Mon regard te suit partout où tu te diriges et quelque mouvement que tu fasses, tout comme, en grammaire, l'épithète suit le nom qualifié auquel il se rapporte!
On reconnaît encore qu'une personne est amoureuse quand elle tient des propos qui ne peuvent guère s'adresser qu'à l'objet aimé, même si, volontairement, elle s'adresse à autrui. Et l'observateur ne manque pas d'en remarquer l'affection. Sont encore des signes de l'amour :
-le fait d'écouter attentivement les paroles de l'aimé
-de s'étonner de tout ce qu'il avance, fût-ce pure absurdité ou incongruité
-de lui donner raison même quand il a tord
-de témoigner pour lui de le suivre, quoi qu'il fasse et quoi qu'il dise
-de s'empresser d'aller vers où est l'aimé
-de se débarrasser de toute occupation qui exigerait qu'on le quitte
-d'avoir une démarche très lente quand il faut prendre congé de lui.
Quand je me lève pour te quitter, ma démarche n'est autre que celle d'un captif qu'on conduit au trépas.
Mais quand je me rends vers toi, je me hâte vers toi, comme la lune traversant le ciel.
Autres signes de l'amour : la confusion et l'émoi que montre l'amant quand il est soudainement mis en présence de l'aimé et que celui-ci apparaît inopinément; le trouble qui se manifeste chez l'amant quand il voit quelqu'un ressemblant à l'aimé, ou quand il entend soudain prononcer le nom de celui-ci...
Quand les amants s'aiment d'un amour égal, et quand cet amour est intense, peuvent un instant se fuir l'un l'autre sans raison valable (pour en fait, mieux se retrouver), se contrarier volontairement dans leurs propos, se poster à l'affût de leurs paroles réciproques et les interpréter à contresens. Tout cela étant simplement utilisé comme moyens pour chercher à savoir ce que chacun d'eux pense réellement de l'autre.
D'autres signes de l'amour sont encore les suivants : l'amoureux se complaît à entendre prononcer le nom de l'aimé et se délecte à parler de lui; rien ne le satisfait davantage et peu lui importe de dévoiler quelques-uns de ses véritables sentiments.
Il arrive qu'une personne sincèrement éprise commence à manger de bon appétit ; mais si la pensée de l'aimé lui vient à l'esprit en son absence, voici les aliments qui restent dans le gosier. Il en va de même pour l'eay qu'il boit...
D'autres signes sont aussi : le goût de la solitude et la recherche de l'isolement, l'amaigrissement du corps sans pourtant que celui-ci ait la fièvre ni souffre d'un mal qui entraverait la liberté de ses mouvements...
L'inquiétude s'empare de l'amoureux, dans deux cas : d'abord quand il espère rencontrer l'objet aimé et qu'il survient un empêchement (inattendu)...
Le deuxième cas, c'est quand un incident se produit entre deux amants à la suite de reproches dont la motivation apparaît seulement quand les faits reprochés sont nettement précisés. Dans ces circonstances, l'inquiétude de l'amant est intense et dure jusqu'à ce que les choses aient tirées au clair. Alors, soit son appréhension cessera s'il espère le pardon, soit son inquiétude se changera en tristesse et en désespoir s'il craint que son aimé ne l'évite désormais...
Parmi les accidents de l'amour il faut encore citer l'affliction extrême, le désarroi paralysant qui s'empare de l'amant quand il voit son aimé se détourner de lui et lui manifester de l'aversion. Le symptôme de ce trouble, ce sont les soupirs, l'abattement, la prostration, les gémissements qui s'exhalent d'un cœur désespéré.
En ce cas, la noble patience est captive et les larmes coulent librement.
La marque du chagrin, c'est un feu qui embrase le cœur, une larme qui coule et se répand sur les joues.
Si l'être épris cache le secret de son âme, les larmes de l'œil le décèlent et le trahissent.
Quand, des paupières, jaillit le flot des larmes c'est que le cœur renferme une passion cruelle !
Il arrive, en amour, que les amants aient de la méfiance l'un pour l'autre, qu'ils suspectent respectivement chacune de leurs paroles et les interprètent faussement. C'est là l'origine des reproches entre amants.
Je me méfie des choses les plus insignifiantes (les plus méprisables), lorsque tu en es l'auteur. A l'origine des choses les plus graves sont les choses les plus insignifiantes et du petit noyau naît un grand arbre.
Un autre signe de l'amour, ce sont les égards que l'amant a pour l'aimé, la mémoire qu'il garde de tous ses faits et gestes, son souci de s'informer de lui en sorte que rien de futile ni d'important ne lui échappe, et enfin, le fait qu'il suive tous ses mouvements...